Et c’est ainsi que l’INSEE publie très régulièrement et pour chaque trimestre un coefficient national de référence des loyers qui s’établit en moyenne sur 2022 à 3,50%. On peut certes se demander pourquoi l’évolution annuelle de cet indice est très inférieure à celle de l’indice des prix à la consommation (+ 5,20% en 2022), mais le marché locatif qui ne subit pas les à coups des carburants, ni la flambée des produits alimentaires, est sérieusement tempéré par de multiples mesures de blocage ou d’encadrement favorables aux locataires.
I – L’IPCH, QU’EST QUE C’EST ?
Or quelle n’est pas la surprise des contribuables locaux de voir pour 2023 le fisc brusquement tirer de son chapeau un coefficient extravagant de 7,10%, manifestement sans rapport avec les évolutions du marché locatif français. Ceux qui sont un peu plus curieux que les autres vont remonter à l’article 1518 du Code Général des impôts qui, depuis 2018, indexe les valeurs locatives cadastrales sur un indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), une pure invention de Bruxelles, dont la justification particulièrement nébuleuse mérite d’être citée.
Il s’agit tout simplement d’introduire un critère de convergence portant sur la stabilité des prix dans le cadre du traité de l’Union européenne. On nous apprend ainsi que pour la France, le territoire économique national comprend la métropole et les départements d’Outre-Mer, en précisant et que l’indice est expressément conçu à des fins de comparaison internationale.
Pour caler les valeurs locatives à retenir sur l’année N, l’INSEE relève donc l’évolution de l’IPCH de novembre N-2 à novembre N-1, ce qui pour 2023 fournit un taux ahurissant de 7,10% selon la publication du 15 décembre dernier. Certes le groupe Libertés, Indépendant, Outre-Mer et Territoires (LIOT) a bien cherché à contenir raisonnablement l’augmentation à 3,50% sur la base de l’indice national de référence des loyers précité, mais le Gouvernement, comme sa majorité parlementaire, se sont montrés inflexibles.
II – UN AUTRE CONTEXTE FISCAL
En pleine crise du pouvoir d’achat, c’est donc bien une augmentation d’au moins 7,10% que les contribuables vont découvrir sur leurs prochains avis d’imposition de taxe d’habitation (résidences secondaires) et de taxe foncière (tous immeubles). Au moins 7,10% parce qu’il y a lieu d’y ajouter les éventuelles augmentations que les collectivités concernées décideront d’appliquer pour leurs besoins propres, préfigurant ainsi les nombreux bouleversements que va introduire la suppression de taxe d’habitation dans notre fiscalité locale.
En effet, les électeurs locataires déjà majoritaires en nombre n’auront plus à se gêner pour sans cesse exiger toujours davantage de leurs collectivités locales, puisque le coût de leurs revendications sera uniquement supporté par la race taillable et corvéable à merci des propriétaires et celle guère mieux en cour des résidents secondaires.
Avec sa suppression purement électoraliste de la taxe d’habitation pour les résidences principales, Monsieur Macron vient de nous bailler une nouvelle leçon d’en même temps: tout à la fois comment semer une pagaille indescriptible dans la conduite des finances locales, comment faire rendre gorge aux propriétaires fonciers et sanctionner lourdement les nantis qui ont le front de conserver une résidence secondaire et enfin comment introduire la zizanie dans la gestion des collectivités locales en suscitant un affrontement presque inévitable entre les électeurs pour qui tout ou presque est gratuit et les autres qui doivent assumer seuls le poids d’une part excessive des dépenses de la collectivité.
Or cette vision est triplement malsaine, parce qu’elle cherche une nouvelle fois à diviser les Français, parce qu’elle matraque injustement les propriétaires fonciers et les résidents secondaires (ces derniers acquittant déjà sur toute l’année le coût de services dont ils ne profitent guère au mieux que durant quelques mois) et enfin parce qu’elle apparait tout aussi déconnectée des réalités locales que des principes d’égalité et de répartition qui, jusqu’à présent, inspiraient fort logiquement notre fiscalité locale !
APRÈS LA SUPPRESSION DE LA TAXE D’HABITATION, L’EXÉCUTIF CHERCHE COMMENT AMADOUER LES COMMUNES
C’est un euphémisme de prétendre que les maires, pour ne parler que d’eux, n’ont guère apprécié la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui constituait l’une des principales ressources fiscales de leurs communes. Le Gouvernement a eu beau leur promettre l’indemnisation de ce manque à gagner, les expériences passées ont montré que ces garanties n’étaient la plupart du temps qu’illusoires: partielles dans leur montant et limitées dans leur durée.
Les maires ne se sont d’ailleurs pas privés de manifester au Chef de l’État leur profond mécontentement en faisant de plus ressortir que cette réforme politique coupait un lien important unissant les communes à la majorité de leurs résidents fiscalement impliqués dans le financement de la collectivité. Or on vient de voir que des maires commencent à refuser des permis de construire, en arguant que le produit des impôt issus des nouvelles constructions ne permettra pas de financer les investissements qu’elles nécessiteront.
La grogne ne cessant de monter, le Chef de l’État s’est donc mis en quête de quelques menues compensations susceptibles d’apaiser la grogne des élus. C’est ainsi qu’il fut d’abord décidé de créer une sorte de surtaxe d’habitation permettant à certaines communes au marché locatif tendu de majorer jusqu’à 60% la taxe des résidents secondaires.
Comme cette mesure ne suffisait pas, il fut ensuite convenu de l’étendre dès l’année prochaine à près de 4 000 autres communes essentiellement touristiques. Et c’est d’ailleurs sans nul doute dans ce contexte de rafistolage à la Dubout qu’il faut placer le recours sans nuance à l’indice IPCE qui fait l’objet de cette étude et dont le pouvoir sait pertinemment que s’il est largement étranger à l’évolution du marché locatif, il a l’immense mérite de procurer un supplément de ressources à toutes les communes.
Naturellement, la prise en compte des difficultés auxquelles sont actuellement confrontés la majorité de nos concitoyens, le trou que cette hausse spoliatoire va creuser dans leur pouvoir d’achat, l’Exécutif n’en a cure, même s’il s’en va clamer partout que l’État fait tout pour préserver le niveau de vie des Français. Mais cela fait longtemps dans ce pays qu’on sait qu’on se rapproche davantage de la vérité en prenant directement le contrepied de la parole publique qu’en s’y fiant.
Et au -delà de ces péripéties, c’est à brève échéance toute l’autonomie fiscale et même l’autonomie tout court des collectivités locales qui se posent dans le cadre d’un État qui n’a jamais été vraiment décentralisateur.
III – L’ANALYSE CRITIQUE DU DISPOSITIF
Quoi qu’il en soit, ces considérations liminaires ne doivent pas nous détourner d’une analyse objectivement critique de l’utilisation de l’IPCH pour retracer l’évolution du marché locatif français:
1 – d’abord, l’indice des prix à la consommation harmonisé est, comme son nom l’indique, un indice des prix à la consommation et donc, mêmedans le cadre purement national, il charrie un tas d’indices particuliers, qui n’ont strictement rien à voir avec le montant des loyers. Pis encore, les loyers n’entrent que pour 6,1% seulement dans la composition de l’indice national. Sans se perdre dans les détails, on ne voit vraiment pas pourquoi l’indexation des valeurs locatives cadastrales devrait intégrer les prix de l’alimentation (qui pèsent 17,5% des dépenses de l’indice), de la santé (9%), de l’ameublement (6,9%), de la restauration (6,3%), de l’automobile (4,2%) ou encore des carburants (4%) et dont la pertinence locative est plus que douteuse.
2 – l’importance de ce dévoiement est significative, puisque même si, en élargissant l’approche, on rapporte l’ensemble des dépenses de logement, investissement compris, au revenu des Français, le taux obtenu ne dépasse guère les 35%. Ce qui veut dire que si l’on en revient à l’indice national des prix à la consommation, l’indice national incorpore pour 93,9% (= 100,00 – 6,1) de dépenses de consommation qui n’ont strictement rien à voir avec les loyers, ce que corrobore implicitement l’écart mentionné plus haut pour 2022 entre l’IPC français de 5,20% et l’indice national de référence des loyers de 3,50%. Et comme, même dans leur acception la plus large, l’ensemble des dépenses liées au logement n’excède guère plus d’un tiers du budget des dépenses, ceci confirme encore que l’IPC n’est vraiment pas l’outil idoine pour restituer loyalement l’évolution du marché locatif. Or nos gouvernants le savent parfaitement, comme ils savent que cet indice fallacieux va doper d’autant plus scandaleusement et durablement les valeurs locatives cadastrales que les loyers sont en France de plus en plus enserrés dans un encadrement législatif et réglementaire particulièrement strict.
-3- 3 – Bien sûr, le contribuable moyen ne saura jamais rien des méthodes utilisées pour assurer une meilleure comparabilité européenne des IPCH nationaux et à considérer ce qu’on voit pour les désordres qu’ils ont introduits dans le marché de l’énergie, on peut faire confiance aux bureaucrates européens pour que leurs méthodes n’aient rien d’évident et qu’elles fuient le sens commun en garantissant à leurs formules une impénétrabilité absolue, De toute manière, on ne voit pas pourquoi l’indice français doit d’abord être recuisiné à la sauce européenne, pour livrer des coefficients à usage fiscal purement national, car nos marché locatifs sont par nature géographiquement implantés et que, selon sa culture, ses usages et sa réglementation, les loyers d’un pays n’ont la plupart du temps rien à voir avec ceux d’un autre pays, fût-il voisin. Mais en l’espèce peu importe, l’énorme avantage de l’IPCH, c’est qu’il laisse sur place l’IPC national et qu’il rejette dans les limbes l’indice national de référence des loyers, celui-là seul qui aurait dû servir à actualiser nos valeurs locatives cadastrales.
4 – Quand, nullement découragé, on se prend à fouiller un peu dans le fatras qu’on nous propose, on est ravi d’apprendre quand même que l’IPCH est très ambitieux puisqu’il tient compte du traitement de notre onéreuse protection sociale et des réussites bien connues de notre enseignement. Toutes choses dont sans doute vous ne percevez pas le rapport direct avec les prix à la consommation, mais c’est normal car votre esprit français n’est pas formaté pour accéder aux puissantes analyses que seul sait développer un cerveau bruxellois!
5 – Enfin, il est bien précisé par ses propres concepteurs que l’IPCH est expressément conçu à des fins de comparaison internationale, ce qui ne semble pas être tout à fait le cas de nos valeurs locatives cadastrales nationales. En effet, grâce aux efforts acharnés du fisc depuis un demi-siècle, ces valeurs se trouvent dans un tel état de délabrement et d’incohérence (le fisc ayant pendant de longues années prélevé des majorations censées couvrir des révisions foncières qu’il n’a jamais faites) qu’on ne voit pas exactement quelles sortes de comparaisons internationales on pourrait établir sur des bases aussi arbitraires, aussi bancales et aussi fausses que les nôtres. Mais le Gouvernement, comme d’ailleurs sa majorité parlementaire, se fichent comme d’une guigne des précautions d’emploi attachées à l’IPCH, car l’essentiel n’est pas que l’indice soit fiable, c’est qu’il rapporte….
Bref, on nous vend une cuillère, nous l’utilisons comme un couteau! Or de quelque côté qu’on se tourne on s’aperçoit que l’IPCH n’est en rien conçu pour refléter l’évolution de notre marché locatif national et que son choix dolosif ne procède pas de la volonté de suivre fidèlement et loyalement les évolutions de notre marché locatif national, mais d’introduire toujours plus d’arbitraire et d’injustice dans un fiscalité qui en regorge déjà et comme s’ils s’agissait de la briser une fois pour toutes. En en profitant bien sûr pour matraquer au passage les propriétaires fonciers et les résidents secondaires, ces représentants du somewhere (quelque part) qu’en bon mondialiste, le pouvoir macronien abhorre. Mais, tant qu’on y est, poursuivons cette réflexion sur le plan politique. On s’aperçoit alors de l’inanité et de la vacuité de notre contrôle parlementaire, puisqu’il est possible de faire voter par une majorité de parlementaires censés représenter et défendre assidument les intérêts de leurs électeurs des lois qui s’écartent complétement des références locatives et de l’intérêt légitime du contribuable, au point que le citoyen peut se demander qui donc il envoie siéger en son nom sous les ors de la République. Nous ne serons pas moins critiques vis-à-vis d’un Conseil d’État et d’un Conseil constitutionnel qui n’ont pas réagi contre ce dévoiement insensé qui sabote et dénature notre fiscalité locale, même si on n’est pas trop sûr que les uns et les autres se soient jamais donné la peine de rechercher les arcanes d’un jeu de bonneteau complètement vicié.
IV – L’ALTERNATIVE DE LA VALEUR VÉNALE POURQUOI DONC NE PAS RETENIR LES VALEURS VÉNALES ?
Voici déjà quelques lustres, l’auteur s’est spécialisé dans la fiscalité locale et il a été à l’origine de la publication par les Nouvelles Fiscales du premier traité de fiscalité directe locale paru après la réforme des années 70. Il tient à rappeler à toutes fins utiles, qu’il existe une méthode infiniment plus performante pour simplifier et améliorer grandement la tâche d’évaluation des immeubles. Il suffit en effet de substituer aux actuelles valeurs locatives largement « bidouillées », un taux locatif fixe et national (4 % semblerait raisonnable) à appliquer au prix de vente des biens, lequel tient compte -sans qu’on ait besoin de les lister- de tous les éléments de confort que l’Administration peine à recenser. On échapperait aussi à l’aberration qui consiste à reconstituer fictivement la valeur locative d’un bien qui reste occupé par son propriétaire et on n’a plus besoin de dix ans pour remettre à plat les valeurs locatives.
Entre deux mutations, l’actualisation se ferait par application d’une simple coefficient d’évolution tenant compte (nationalement ou mieux par département) de l’évolution des prix de vente de l’année, les ajouts et constructions nouvelles faisant naturellement l’objet de déclarations et évaluations particulières. Et si tel événement ou telle évolution locale conduit à une dépréciation particulière et durable du bien excédant 10%, on ouvre alors au contribuable une faculté de réclamation spécifique. Comme par le biais de l’enregistrement obligatoire des mutations foncières, l’Administration connaît précisément tous les prix de vente de tous les biens fonciers, le travail de recensement se trouve alors réduit à sa plus simple expression.
Mais on sait bien que notre Administration a une sainte horreur de la clarté et de la simplicité et qu’elle préfère y glisser quotidiennement sa touche irremplaçable d’arbitraire et de complexité qui fait que notre fiscalité directe locale fournit assidument l’une des sources les plus importantes du contentieux fiscal engagé par les contribuables.
V – CONCLUSION: EN AVOIR POUR SES IMPÔTS AVEC G. ATTAL OU SE FAIRE AVOIR SUR SES IMPÔTS AVEC L’IPCH ?
Récemment, notre ministre de l’action et des comptes publics s’est mis en tête de prouver aux Français qu’ils en avaient pour leurs impôts. Pour l’instant, les Français perçoivent beaucoup mieux le poids exorbitant et croissant des contributions qui sont exigées d’eux, que les services qu’ils peuvent en recevoir en contrepartie, alors que partout en France:
– on ne peut plus quitter son domicile en étant sûr d’y revenir sain et sauf une heure plus tard;
– en deux ou trois décennies à peine, les Verts ont réussi à torpiller gravement l’outil nucléaire français en privilégiant des stratégies funestes pour la Nation et dont on paye aujourd’hui les conséquences;
– notre système de santé est en pleine déliquescence avec un numerus clausus stupide reconduit trop longtemps sans sourciller par des politiques aussi inconscients qu’irresponsables et jamais sanctionnés;
– plutôt que de les instruire, l’Éducation nationale préfère depuis longtemps endoctriner nos enfants et les perturber très tôt par des questions de genre qui ne sont pas de leur âge;
– la culture woke et l’écriture inclusive transforment nos universités et nos instituts d’études politiques en lieux d’affrontement pour finir en camps retranchés;
– notre Justice détricote patiemment le travail de la police en libérant régulièrement par erreur nombre de dangereux récidivistes aux casiers judiciaires édifiants, tandis qu’après le mur des cons, l’un des principaux syndicats de magistrats ne craint pas de publier impunément des contre-circulaires attentant hiérarchiquement à l’ordre républicain que les juges sont pourtant chargés de faire respecter; Par charité nous arrêterons là ce bref aperçu de la vacuité régalienne, qui caractérise présentement ce pouvoir perpétuellement hésitant, incapable en tout de définir logiquement, d’afficher clairement et d’appliquer fermement ses options.
Pourtant cette fois, en majorant d’au moins 7,10% pour 2023 leur taxe d’habitation et leur taxe foncière et après avoir basculé sur les propriétaires fonciers et les résidents secondaires l’essentiel du poids de la fiscalité directe locale des particuliers, le Gouvernement vient clairement de signifier à des millions de contribuables français quel cas il fait de leur pouvoir d’achat. Et en plus, ce hold-up va lourdement peser sur les valeurs cadastrales des années à venir, qui répercuteront irréversiblement les excès de 2023.
Est-il excessif dans ces conditions de prier ceux qui nous dirigent de changer rapidement leur discours qui devient intolérable à des citoyens qui en ont assez, en payant toujours plus, qu’on les prenne en sus pour de parfaits abrutis ? Mais ne soyons pas ingrats et reconnaissons-le franchement : en fiscalité locale comme ailleurs, nos élites nous prouvent quotidiennement qu’elles ont un don tout à fait exceptionnel pour choisir méthodiquement les pires solutions.
Thierry BENNE