Nous avons dressé un panorama des acteurs de la vie politique française dans deux numéros des Enquêtes du contribuable : « Profession politicien », en octobre 2014, consacré aux revenus, avantages et autres casseroles judiciaires de nos 600 000 élus et « L’argent des partis politiques » (numéro de juin-juillet 2014), qui, comme son titre l’indique, s’est penché plus particulièrement sur le mode de financement – largement public – des partis politiques.
« La politique est mon métier »
Notre Premier ministre, Manuel Valls fait figure de petit nouveau en politique alors qu’il comptabilise 28 ans de mandats. C’est un petit peu moins que les 31 ans de Ségolène Royal, les 36 ans d’Henri Emmanuelli, député des Landes par intermittence, ou les 37 ans de mandats de Laurent Fabius. Quant aux présidents de la République, ils ne sont pas en reste : 31 ans de mandats pour François Hollande, 37 ans pour Nicolas Sarkozy, 42 ans pour Jacques Chirac, 46 ans pour Valéry Giscard d’Estaing, 49 ans pour feu François Mitterrand.
Alors, faut-il avoir de l’admiration pour ces « animaux politiques » qui ont su vivre et survivre aussi longtemps dans l’arène politique ou bien faut-il y voir un des symptômes d’une démocratie malade ? Le fait est que l’on est en droit de se poser la question du renouvellement des générations politiques et par là même du choix réel dont disposent les citoyens français lors des votes.
Le choix, les Français l’ont mais parmi des candidats de la fonction publique : à la présidentielle 2012, on comptait 7 fonctionnaires parmi les 10 candidats : Nicolas Dupont-Aignan (énarque, administrateur civil), Olivier Besancenot ( facteur à La Poste), François Hollande (énarque, magistrat à la Cour des comptes), François Bayrou (Professeur agrégé de lettres classiques), Eva Joly ( juge d’instruction), Nathalie Arthaud (professeur agrégée d’économie et de gestion) et Jacques Cheminade (énarque, haut fonctionnaire). Ils étaient 8 fonctionnaires parmi les 10 principaux candidats en 2007.
Depuis 1981, sur les quatorze Premiers ministres qu’a connus la France, la moitié sont énarques (Fabius, Chirac, Rocard, Balladur, Juppé, Jospin, Villepin).
Ce rapide panorama pour dire qu’en France nous avons à faire à un triple phénomène : une pléthore d’élus dont les émoluments nous coûtent les yeux de la tête, une professionnalisation croissante des acteurs de la vie politique et une surreprésentation des membres de la fonction publique dans le corps politique.
Trop d’élus…
Pour les Français, les choses sont claires, nos représentants politiques sont trop nombreux : 84 % d’entre eux jugent le nombre d’élus en France excessif selon notre sondage exclusif IFOP pour le numéro « Profession politicien » des Enquêtes du contribuable (octobre-novembre 2013).
La France, pays des droits de l’homme et du politicien, détient le record mondial d’élus par habitant. Cette nomenklatura électorale fort disparate nous coûte bonbon…
Données avril 2014 :
Députés : 577
Sénateurs : 343
Conseillers régionaux : 2 040
Conseillers généraux: 4 052
Maires : 36 756
Conseillers municipaux : environ 536.519
Députés européens : 78
Élus intercommunaux : 38 000 environ*.
Total : 618 365 élus
Les élus se répartissent entre deux mondes très dissemblables : la France « d’en bas » et celle « d’en haut ». Le maire d’un petit village pauvre n’évolue pas dans le même univers que celui d’une grande ville. Il n’appartient pas à cette nomenklatura électorale dont les avantages scandalisent l’opinion publique, surtout en ces temps de crise. Les gros bataillons sont constitués par les 36 756 maires, les 536 519 conseillers municipaux, parmi lesquels se recrutent 38 000 élus intercommunaux. Beaucoup de ces élus sont des sans-grade, mais qui sont populaires car en contact avec le public.
On compte aujourd’hui en France environ un élu ou pour être plus exact – car il y a souvent cumul – un mandat électif pour 104 habitants. Si la démocratie se mesurait à l’aune du nombre d’élus, notre pays serait un modèle universel ! Avec un mandat pour 104 habitants, le taux de représentation français est 4,5 fois supérieur à celui des Etats-Unis. Pourtant, la vie démocratique américaine n’a rien à envier à la nôtre, bien au contraire…
Au seul échelon parlementaire (Assemblée nationale et Sénat confondus), le ratio français est d’un élu pour 71 100 habitants. La France entretient quelque 400 parlementaires de plus que les États-Unis. Pourtant, le pouvoir et le prestige du Congrès américain, qui comprend la Chambre des représentants et le Sénat, sont très supérieurs à ceux de notre Parlement. En Allemagne, le Bundestag – qui a pourtant accueilli de nouveaux députés au moment de la réunification –, compte moins de représentants par habitant que notre Assemblée nationale. Cela n’empêche pas le Bundestag d’assumer ses fonctions, notamment en matière de législation et de contrôle du gouvernement (fédéral) avec une efficacité très supérieure à celle de notre Assemblée.
Au Sénat, la comparaison est plus marquante encore. Le Bundesrat allemand compte 69 membres. Les Etats-Unis se contentent de deux sénateurs par Etat, soit seulement 100 élus, mais très influents. Au Brésil, il y a trois sénateurs par Etat, soit 81 au total.
En France, deux sénateurs par département seraient encore en surnombre par rapport à ces pays. Il n’empêche : en 2004, il a été décidé d’augmenter leur nombre, en contrepartie de la baisse de la durée de leur mandat, ramené progressivement de neuf à six ans. Le nombre de sénateurs est passé en septembre 2011 à 348.
… Trop chers
Nos principaux élus, qui, s’ils ne sont pas millionnaires, font partie des nantis.
Entre indemnités brutes ou nettes, exonérations d’impôts, cumul des mandats, et autres jetons de présence, il est impossible de savoir précisément ce que gagne chacun de nos représentants. S’il est certain qu’une majorité d’élus, maires de petites villes, conseillers municipaux, gagnent très peu, les postes des représentants politiques les plus prestigieux sont loin de s’apparenter à du bénévolat. Si l’on raisonne en brut, afin de pouvoir comparer au contribuable moyen, les ministres et parlementaires gagnent confortablement leur vie, affichant des revenus de cinq à six fois plus élevés que le salaire moyen des Français (2 410 euros). Avec une rémunération mensuelle brute qui est de 14 910 euros pour le président de la République et le Premier ministre, 9 940 euros pour un ministre, 13 512 euros pour un sénateur, 12 870 euros pour un député et 12 255 euros pour un député européen, c’est dire que les élus au sommet boxent dans une autre catégorie, et ceci sans prendre en compte leurs avantages en nature…

Tous les élus importants disposent de convenables revenus les situant dans la catégorie des « riches », voire des « très riches ». En effet, au regard des revenus bruts de l’ensemble des salariés français, les membres de l’exécutif et les parlementaires sont presque tous situés dans le 1 % des plus riches (salaire annuel supérieur à 125 162 euros bruts).
Traitement mensuel (dont indemnité de résidence et de fonction) + IRFM pour les parlementaires ; Députés UE : traitement mensuel + indemnité de frais généraux.
Pour en revenir au niveau local, le millefeuille territorial français a ceci d’intéressant pour les élus est qu’il leur offre la possibilité d’augmenter leurs revenus.
Pour la seule rémunération des élus locaux, le gâteau est de 1,6 milliard d’euros
Le revenu des élus locaux a, en moyenne, progressé de 5 % par an, entre 2000 et 2011. Quand le revenu national net réel des Français a stagné (0,3 % d’augmentation par an). C’est par exemple le cas des maires et adjoints, qui, si l’on agrège l’ensemble de leurs indemnités, ont vu leur masse salariale totale passer, entre 2000 et 2011, de 727 millions à 1,17 milliard d’euros, soit 60 % d’augmentation. Le maire est d’autant mieux payé que sa commune jouit d’un statut particulier. La loi a prévu des majorations. C’est ainsi que le maire d’un chef-lieu de canton peut majorer son indemnité de 15 %, celui d’un chef-lieu d’arrondissement de 20 %, celui d’un chef-lieu de département de 25 %. En outre, une majoration de 25 % est accordée aux maires de communes ayant un statut de station touristique (station balnéaire, station nautique, station climatique, station thermale, station de sports d’hiver). Par ailleurs, avec l’explosion du nombre de communautés d’agglomération et autres EPCI (établissement public de coopération intercommunale), certains maires et élus municipaux cumulards ont trouvé une nouvelle martingale pour arrondir leurs fins de mois : ils se versaient, en 2011, 218,6 millions d’euros, près de quatre fois plus qu’au début des années 2000 ! Les autres élus locaux (dans les syndicats de gestion communale sans fiscalité, les conseils régionaux et généraux…) se partagent 240 millions d’euros environ, portant le total des rémunérations des élus locaux à 1,6 milliard d’euros (pour l’année 2009).
Un dernier exemple, emblématique, celui d’un professionnel de la politique, aujourd’hui retraité mais qui continue de nous coûter cher, à savoir Jacques Chirac. L’ancien Président touche (selon l’association Sauvegarde Retraites) près de 31 000 euros bruts par mois de retraite du fait de ses mandats et de sa carrière de fonctionnaire. En effet, en plus de sa retraite d’ancien Président (5250 euros), il touche chaque mois sa retraite de député (5031 euros), de maire de Paris et conseiller général (5000 euros) ainsi que de conseiller référendaire à la Cour des Comptes (3500 euros). A ce stade, on arrive à une retraite de 18800 euros. Et comme les anciens présidents sont encore membres de droit du Conseil constitutionnel, Jacques Chirac reçoit en sus 12 000 euros. Du moins jusqu’en 2011. Depuis qu’il ne siège plus au Conseil, il touche moins dixit le député apparenté PS René Dosière, spécialiste de la rémunération des élus. A titre de comparaison, en 2012, la pension moyenne des retraités français était de 1 288 euros.
Le cumul des mandats
Qui dit politicien professionnel, dit rémunération (on l’a vu succinctement) et carrière. Une fois le pouvoir pris, l’élu espère s’y maintenir et y rester pour longtemps. A partir de là, toutes les dérives sont possibles.
Une des plus criantes d’entre elles étant le cumul des mandats, auquel la plupart des élus, et notamment les barons locaux tiennent par-dessus tout. Il est pratique le cumul, il permet aux élus d’user de la spoliation légale des Français : les élus ne veulent pas réduire les dépenses publiques parce qu’ils votent les lois qui développent le millefeuille administratif qui leur permet de vivre grâce multiples mandats qu’ils exercent.
La comparaison avec ce qui se pratique dans la société civile est parlante. Comme Clément Droynat le faisait très bien remarquer dans Les Enquêtes du contribuable (numéro de juin –juillet 2014 « L’argent des partis politiques »), « il est impossible d’imaginer que, dans une grande entreprise, le PDG puisse être également le directeur commercial, le directeur de la communication et le directeur des ressources humaines. S’il cumulait, ce serait un scandale et chacun hurlerait au manque d’efficacité. Pire, si jamais ce PDG, non content de cumuler les positions cumulait aussi les salaires, l’indignation serait générale. »
En politique, il y a cumul des mandats, cumul des indemnités payées par le contribuable (même s’il existe un écrêtement pour les parlementaires nationaux et députés européens), et cumul dans le temps.
Et alors qu’on ne laisse rien passer au PDG dont l’apport social est visible, immédiat et certain car il crée, grâce à son entreprise, des richesses et des emplois, on tolère presque tout d’un politicien dont l’utilité reste à prouver et dont la contribution au bien-être de la société est très souvent loin d’être positive.
Alain Mathieu (dans son ouvrage « Ces Mythes qui ruinent la France », aux éditions du Cri) et Julien Lamon (pour Les Enquêtes du contribuable) ont travaillé sur la question du cumul des mandats. Je vais reprendre ici une partie de leurs analyses.
Le cumul, là encore, est une exception française. Si on regarde la proportion de politiciens qui cumulent les postes de député et de maire chez nos voisins européens, on est édifié :
Avec 45 % de députés-maires avant les municipales de mars dernier, la France se démarque des autres pays européens qui pour certains interdisent le cumul de ces deux fonctions. En 2011, 83 % des députés exerçait un mandat local contre 3% au Royaume-Uni, 7% en Italie, 35% en Suède.

Que reproche-ton au cumul des mandats ?
Il empêche le renouvellement de la classe politique.
Le parlementaire cumulard perd de vue l’intérêt général.
Les parlementaires cumulards sont enclins à privilégier des lois et des travaux parlementaires liés à leur territoire et potentiellement contraires à la défense de l’intérêt général ». On parle de dérive « localiste », les mauvaises langues diraient « clientéliste ». De nombreux parlementaires français sont en fait des élus locaux venus à Paris chercher de l’argent pour leur collectivité, comme le rappelle Alain Mathieu. L’intérêt général est perdu de vue. Le conflit d’intérêt est permanent. Le gouvernement Fillon avait fait fermer des tribunaux sans grande activité ou des casernes inutiles. L’intérêt général était en jeu. Mais il s’est heurté aux élus dont la circonscription était affectée par ces fermetures. Ces élus le lui ont d’ailleurs fait payer cher, en faisant passer le Sénat à l’opposition.
Un parlementaire cumulard est ainsi en situation de schizophrénie, son rôle local le pousse à la dépense quand son rôle national doit l’inciter à la réduire.
Les députés cumulards sont absents de l’hémicycle.
Le chercheur Laurent Bach (Stockholm School of Economics) a pu le constater en mesurant une moindre participation aux séances de l’Assemblée, un moindre engagement dans le contrôle du budget et une plus faible probabilité de produire des rapports parlementaires.
Les cumulards sont plus dépensiers que les autres.
Julien Lamon avait pu constater à partir des données de l’Argus des communes (l’outil de notation des 36 000 communes françaises de Contribuables Associés) que les députés-maires sont en moyenne beaucoup moins respectueux des contribuables que les maires à mandat unique : les communes des députés cumulards ont une moins bonne santé financière, dépensent plus que les villes où les maires n’ont pas de mandat législatif. Le député-maire fait porter à sa commune des dettes plus lourdes et vote les impôts locaux à des taux plus élevés que le simple maire.
Le cumul permet d’empiler les rémunérations.
Le premier avantage du cumul est celui de l’empilement des rémunérations. En effet, à l’indemnité de député, s’ajoute celle de maire, qui varie en fonction de la taille des communes et oscille entre 646 et 8 651 € (à Paris) bruts par mois. Le député voyant son salaire de maire plafonné à 2 757 € par mois. Salaire de député plus salaire de maire, l’élu ne peut toucher plus de 8 272 € bruts par mois, le surplus étant reversé à la commune via l’écrêtement. L’autre avantage est celui de pouvoir (essentiellement pour les maires de communes de taille importante) grossir la taille des cabinets. En effet, les députés français reçoivent une enveloppe pour embaucher leurs assistants parlementaires de 9 504 € bruts par mois, ce qui leur permet d’embaucher entre deux et trois assistants.
Or, grâce au cumul des mandats, le député dispose de toute la force de frappe du budget municipal pour rémunérer d’autres collaborateurs, mais également ses frais de déplacement et autres frais professionnels.
L’intérêt d’être maire réside également dans la possibilité de ne pas avoir à payer de local de permanence, puisque le cumulard peut recevoir ses administrés dans les locaux de sa mairie. Bref, une position enviable qui peut lui permettre de gonfler confortablement ses revenus personnels grâce aux frais de mandat de l’Assemblée(IRFM, 5 570 € bruts par mois) qu’ils n’utilisent pas, bénéficiant des moyens de la mairie, et d’embaucher des collaborateurs qui peuvent être le conjoint officiel ou officieux, les enfants… aux frais du contribuable. Des pratiques totalement légales aujourd’hui. Pour le sénateur sans étiquette de Moselle Jean-Louis Masson « [cette] concentration des pouvoirs est un facteur de corruption : 90 % des parlementaires poursuivis pour corruption ou malversations sont des cumulards ».
La fin du cumul des mandats pour les parlementaires, promise par le candidat François Hollande et prévue originellement pour 2014, ne s’appliquera qu’en 2017. Un délai fort opportun qui a permis à certains députés de se représenter aux élections municipales, afin de s’assurer une position de repli en cas d’échec lors des prochaines législatives…
Conséquences concrètes de la loi, il sera interdit d’être à la fois député, ou sénateur, ou député européen et en même temps maire d’une ville ou président ou vice-président d’une intercommunalité, d’un Conseil général ou régional, ou même membre du conseil d’administration d’une société d’économie mixte. Mais le parlementaire pourra demeurer simple conseiller régional ou conseiller général.
Autre problème, cette loi ne concerne pas le cumul des mandats locaux. Par exemple, le mandat de maire est encore compatible avec les fonctions de président d’un EPCI, d’une société d’économie mixte locale (SEM) avec les émoluments qui vont avec.
Jacques Mézard, le sénateur Parti radical de gauche du Cantal, qui est un chaud partisan du cumul des mandats (pour lui, l’interdiction du cumul isole les parlementaires du « pays réel » en renforçant la professionnalisation de la vie politique) avait déposé une proposition de loi visant à interdire aux parlementaires de cumuler les indemnités perçues pour l’exercice des différentes mandats. Il proposait de borner le montant des indemnités au montant de l’indemnité parlementaire de base. Cette proposition a sombré dans les oubliettes du Sénat.
Il est certain que le plus efficace pour s’attaquer au cumul des mandats eût été de supprimer ce qui le motive essentiellement et coûte cher aux Français : le cumul des rémunérations. Seul le mandat principal devrait donner lieu à rémunération, les autres mandats n’étant pas rémunérés. On verrait alors fondre le cumul des mandats.
Cette loi ne s’attaque pas non plus au cumul dans le temps : on peut estimer comme Alain Mathieu que du point de vue de l’intérêt des électeurs, l’idéal est deux mandats : « Au premier mandat l’élu apprend, au deuxième il réalise. Car à partir du troisième il s’installe et les risques de corruption et de clientélisme grandissent ».
La loi du non-cumul aura pour conséquence la multiplication du nombre d’élus. Va-t-elle coûter cher au contribuable? « C’est très difficile à savoir. C’est même impossible à dire pour l’instant. Il faudra attendre de savoir qui occupe quel poste », estime le député René Dosière.
Quoi qu’il en soit, le cumul, cette exception française, a encore de beaux jours devant lui. Autre « charme » de la politique à la française : la surreprésentation des fonctionnaires dans le corps politique.
Les fonctionnaires en politique
Si la politique peut ne pas être perçu comme un métier permanent mais comme une fonction que l’élu va exercer à un moment donné, encore faut-il que les conditions légales permettent d’accéder à la fonction et d’en sortir. Et il se trouve que le système favorise ceux qui peuvent y rentrer le plus facilement : les fonctionnaires, qui peuvent être mis en disponibilité et bénéficient de l’avancement, et peuvent en sortir le plus aisément grâce à la garantie de l’emploi. Un fonctionnaire ne prend aucun risque quand il se présente. S’il est battu, il continue son activité. S’il est élu, il sait qu’après son ou ses mandats, il retrouvera son poste. Alors que pour un salarié du privé, un chef d’entreprise, une profession libérale, ce n’est pas si évident.
Selon des analystes de la vie politique nationale, deux dates-clés marquent l’arrivée des fonctionnaires dans la vie politique et plus particulièrement à l’Assemblée nationale.
D’abord, les élections législatives de 1978 : beaucoup d’énarques deviennent députés, dont notamment à droite, les Gérard Longuet, Philippe Séguin, François Léotard. A cette époque, la haute fonction publique était beaucoup mieux représentée dans les partis du centre et de droite que dans les formations politiques de gauche.
Ensuite, les législatives de 1981 : c’est l’arrivés des barbus socialo-communistes, ce contingent de professeurs et instituteurs nouvellement élu dans une Chambre des députés où la gauche est majoritaire à plus de 56 %. Ces mêmes barbus envahiront les villes à partir des élections municipales de 1983.
Une fois élus, ces petits profs et instituteurs vont se rendre compte d’une chose, c’est que lorsque on est élu local ou parlementaire et quand on peut cumuler les mandats et surtout les indemnités, eh bien c’est le jackpot, car les rémunérations n’ont rien à voir avec celle d’un instit de l’Education nationale. Pour ces fonctionnaires, la politique va devenir un métier et sans risque aucun car s’ils ne sont plus élus, ils retourneront dans leur administration d’origine ou deviendront collaborateur d’élu, une profession qui a le vent en poupe, nous allons le voir.
Profil socio-professionnel des maires des villes de plus 30 000 habitants
En effet, le Cevipof (Centre d’étude de la vie politique française) a fait paraître en mai dernier une étude édifiante sur le profil socio-professionnel des maires des villes de plus 30 000 habitants, élus aux dernières municipales et qui sont pour les 2/3 des élus de droite. L’auteur de l’étude, Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS.
Selon Luc Rouban, en 2014, « la proportion des hommes et femmes d’appareil qui proviennent des entourages locaux (cabinets de maires, collaborateurs de conseils généraux ou régionaux ou bien d’EPCI) continue d’augmenter allègrement pour représenter en 2014 le quart de tous les maires. ». 25 % donc en 2014 !, contre 20,4 % en 2008 et surtout 0,8 % des édiles en 1983, avant les lois de décentralisation et la création du statut de fonctionnaire territorial.
S’y ajoutent les 4,2 % de maires qui sont des « hommes et femmes politiques » professionnels… Dans cette catégorie, outre les élus stricto sensu, Rouban intègre les assistants parlementaires ou les collaborateurs d’élus au niveau national.
Et c’est sans compter les maires issus de la fonction publique car là encore, les chiffres sont éloquents.
En 1983, 47,7 % des maires de villes de plus de 30 000 habitants étaient issus du secteur privé, 48,5 % provenaient du secteur public et 3,8 % étaient des professionnels de la politique, soit 52,3 % des maires qui vivaient de l’argent du contribuable.
En 2014, ce chiffre a encore augmenté : on ne compte plus que 40,4 % des maires issus du privé contre 55,4 % venant du public et donc 4,2 % de pros de la politique, soit au total 59,6 % de maires issus de la sphère public. Presque 6 grands maires sur 10, toutes tendances politiques confondues. Un chiffre effarant. A titre de comparaison, la proportion des fonctionnaires sous statut dans la population active est de 21,9 %, et 25,7%, si on prend en compte la part totale des emplois publics dans la population.
On voit bien là le décalage sociologique entre les maires des grandes villes et la population qu’ils sont censés représenter et ce chiffre avec d’autres illustre bien le fossé entre les politiciens et les Français.
Il ressort donc deux choses de cette étude sur les maires dans les villes de plus de 30 000 habitants : une professionnalisation politique croissante et une augmentation constante depuis 30 ans du nombre de maires issus de la fonction publique.
On retrouve le même phénomène à l’Assemblée.
Parlementaire ou fonctionnaire, il faut choisir !
Contribuables Associés a lancé, en 2013, une pétition contre un état de conflit d’intérêts trop ignoré des Français : le cumul de la fonction de député ou de sénateur avec un poste dans la fonction publique. Cette pétition adressée au ministre chargé des relations avec le Parlement a recueilli plus de 60 000 signatures auprès des Français.
Contribuables Associés entendait, et entend toujours, mobiliser l’opinion sur ce sujet que la classe politique (à quelques exceptions près) se garde bien d’évoquer. En effet, si l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire avec l’exercice de certaines activités professionnelles dans le privé a fait débat suite à la déplorable affaire Cahuzac, la question du « statut » de politicien-fonctionnaire est, elle, sciemment occultée.
Et quand l’Etat prétend définir les professions du privé qui seraient interdites aux parlementaires, c’est l’hôpital qui se moque de la charité. En effet, lorsque l’Etat permet à un fonctionnaire de devenir parlementaire, c’est le principe de séparation des pouvoirs qu’il remet en cause, la qualité d’agent de l’exécutif étant, par essence, incompatible avec celle de législateur.
Or les fonctionnaires sont, non seulement présents au Parlement, mais ils y sont surreprésentés.
Depuis 1981, l’Assemblée nationale a connu 10 présidents : Louis Mermaz, Jacques Chaban-Delmas, Laurent Fabius (à deux reprises), Henri Emmanuelli, Philippe Séguin, Raymond Forni, Jean-Louis Debré, Patrick Ollier, Bernard Accoyer, Claude Bartolone se sont succédés au perchoir. Cinq hommes de gauche, cinq hommes de droite. Six étant fonctionnaires, quatre issus du privé, dont un seul de droite : Accoyer qui est médecin oto-rhino-laryngologiste. Emmanuelli ayant été un temps banquier, Forni, avocat et Bartolone, cadre de l’industrie pharmaceutique.
Selon l’IFRAP, la proportion de parlementaires issus du secteur public et assimilé est de 41% en avril 2014 : 36% à l’Assemblée nationale et 50% au Sénat, des proportions qui sont bien plus élevées que dans la population française où les fonctionnaires et assimilés ne représentent (je le rappelle) « que » 25,7 % des actifs selon la dernière étude de Contribuables Associés sur le sujet (« Fonction publique française : le dernier dinosaure »).
Les Français n’admettent plus cet état de fait. Le sondage exclusif IFOP pour le numéro « Profession politicien » des Enquêtes du contribuable (octobre-novembre 2013) le montre bien, l’opinion de nos compatriotes, en la matière, est particulièrement tranchée : 76 % d’entre eux affirment être favorables à l’interdiction de cumul d’un mandat de député avec un emploi de fonctionnaire, privilégiant ainsi l’évitement d’éventuels conflits d’intérêts à la possibilité pour les fonctionnaires de retrouver leur poste en fin de mandat.
Notons que plus le curseur se déplace vers la droite de l’échiquier politique, plus les personnes interrogées s’avèrent favorables à ce que tout fonctionnaire élu député doive démissionner de son corps d’origine. Ainsi, si 66 % des sympathisants du Front de Gauche adhèrent à cette proposition, ils sont 70 % au PS, 76 % au Modem et à l’UMP et 83 % au FN. Dans le même sondage, 84 % des Français se disent favorables à l’interdiction du cumul des mandats. De surcroît, 84 % également estiment excessif le nombre des élus en France.
Cette surreprésentation des élus issus de la fonction publique au Parlement est plus que choquante. Certains l’expliquent par le fait que des individus qui ont choisi d’être des fonctionnaires ont par définition le goût de la chose publique.
Mais elle se justifie plus certainement par les facilités d’accès à la mandature dont bénéficient les fonctionnaires. Ils ont, en effet, la possibilité de se mettre en disponibilité le temps du mandat. Une fois celui-ci achevé, le parlementaire retrouve poste, grade et salaire de départ. Et dans un monde comme celui de la politique où la cooptation, voire la consanguinité, est reine, les élus issus de l’administration ouvrent les portes à leurs collègues.
Les parlementaires-fonctionnaires ne connaissent absolument pas le monde de l’entreprise et encore moins la réalité du marché. Jean-Michel Fourgous, ancien député UMP des Yvelines, vient d’ailleurs de proposer, avec son association Entreprise et Progrès, d’envoyer en stage en entreprise pendant une semaine les députés français car seulement 10 % d’entre eux ont une expérience de l’entreprise.
Les parlementaires-fonctionnaires sont juge et partie. Comment un fonctionnaire, qui vit par définition de l’argent public, pourrait-il voter l’impôt en toute indépendance et se prononcer sur le budget de l’Etat ? Comment un fonctionnaire pourrait-il se montrer favorable à une réduction drastique des effectifs de la fonction publique, voie pourtant incontournable pour baisser la dépense publique ?
Alors, certes, les fonctionnaires élus au Parlement sont, depuis le 1er janvier 2014, placés en position de disponibilité, et non plus de détachement, pendant la durée de leur mandat (LOI n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique). Autrement dit, finie l’avancée dans leur grade pendant la durée de leur mandat et finie la double cotisation retraite ; mais les parlementaires-fonctionnaires sont toujours assurés de réintégrer leur poste en fin de mandat.
Comment des élus issus de la fonction publique, assurés d’y retourner en cas d’échec, pourraient-ils s’engager sur la voie des réformes ? L’exemple le plus criant est celui des retraites où nos élus ont soigneusement évité de s’attaquer aux privilèges de la fonction publique et des régimes spéciaux alors qu’ils ont durci les conditions des retraites du privé.
Ce « statut » de parlementaire-fonctionnaire est encore une aberration purement française ! Le principe d’incompatibilité est en effet la règle dans tous les pays qui nous entourent. Mis à part en Italie et en Espagne pour les hauts fonctionnaires et en Allemagne pour les professeurs de l’enseignement supérieur, tous les autres pays interdisent aux fonctionnaires d’être en même temps parlementaires.
Certains pays vont même plus loin : ainsi, le Royaume-Uni demande à tout fonctionnaire de démissionner avant même de se porter candidat à l’élection. En février 2011, Contribuables Associés avait organisé un colloque à l’Assemblée nationale sur ce thème du fonctionnariat en politique. Parmi les invités conviés à s’exprimer devant les députés, Sir Stuart Bell, député travailliste britannique avait fait la leçon à ses collègues français : « Dans notre pays, les députés viennent de toutes les classes de la société. Pas de mouvements entre fonctionnaires et Assemblée, pas de mouvements dans l’autre sens lorsque l’on quitte le Parlement, mais nous avons tous ce sens du devoir qui consiste à servir le public et l’électorat. »
La France, elle, chouchoute encore et toujours ses fonctionnaires, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît. Impossible de favoriser un climat d’économie, de lutter contre les gaspillages d’argent public et de réformer la fonction publique quand notre Parlement est colonisé par les premiers intéressés ! Impossible aussi de favoriser la croissance quand le pouvoir est confisqué par une oligarchie qui ignore tout du secteur concurrentiel et marchand !
Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans son ouvrage « L’Elite incompétente » (L’Archipel, 2007), Jean-Michel Fourgous rappelle que, sous la IIIe République, les fonctionnaires n’étaient pas interdits de postes ministériels, mais qu’« ils préféraient démissionner au préalable, par respect vis-à-vis de leurs fonctions ». Léon Blum quitta le Conseil d’Etat lorsqu’il entra au gouvernement. Sous la IVe République, le nombre de ministres fonctionnaires ne dépassa jamais la moitié du gouvernement.
Un haut fonctionnaire a récemment montré l’exemple : Bruno Le Maire, le député UMP de l’Eure, ancien ministre de l’Agriculture, a donné sa démission du corps des conseillers des Affaires étrangères en 2012. Le député estime que « le statut d’élu doit être incompatible avec le maintien dans la fonction publique » et considère que « c’est une question d’équité ». Il a déposé en octobre 2012 une proposition de loi (soutenue par Contribuables Associés) allant dans ce sens.
Si le statut de fonctionnaire n’était pas garanti à vie, la société française serait plus ouverte et mobile. C’est pourquoi, il faut absolument exiger que les parlementaires démissionnent de la fonction publique une fois élus. Contribuables Associés reste mobilisé et continue de se battre sur ce terrain en poursuivant la mobilisation de l’opinion publique et en maintenant la pression sur les élus.
Que faire ?
Il est certain que La France traverse une crise profonde, et que la défiance des Français à l’égard de la classe politique (l’abstention des électeurs est devenue un acte politique) est telle que des réformes profondes, constitutionnelles doivent être entreprises.
En commençant par en haut car le poisson pourrit par la tête.
Introduction et développement du mécanisme référendaire.
Professionnalisation des élus : en diminuer le nombre au Parlement et réduire le millefeuille territorial ; adopter l’interdiction du cumul des indemnités ; limiter le nombre de mandat à deux dans le temps ; supprimer le financement public des partis. Suppression du CESE.
Fonctionnarisation des élus : demander aux parlementaires de démissionner de la fonction publique ; permettre un mécanisme d’entrée des gens du privé dans la politique et favoriser le retour en entreprise du salarié à l’issue d’un mandat électif ; supprimer l’ENA ; diminuer le nombre de fonctionnaires en supprimant le statut pour tous les nouveaux entrants dans les fonctions régaliennes.
Si on veut rétablir la confiance des Français en la classe politique, il faut passer par ce type de réformes.
Il faut faire de la France une véritable démocratie, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui. La démocratie représentative, ce n’est pas la démocratie. Mais encore faudrait-il pour un véritable changement de paradigme politique que les citoyens français veuillent véritablement prendre les choses en main, être acteurs et moteurs de la Cité et on n’y pas encore, même si l’on ne peut qu’espérer que cela arrive un jour.
Jean-Baptiste Leon
Image à intégrer !!!!
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