Une tribune de Raphaël Piastra, Maître de Conférences en droit public des Universités
Quelques mots d’abord sur son historique puis sa structure et enfin ses fonctions. Et l’on verra que ces dernières ne sont pas à la hauteur de ce qu’elles devraient être.
Depuis des décennies à présent l’institution de la rue Cambon émet des rapports notamment sur l’état calamiteux de nos finances. Oserait-on dire que peu y fait.
Les origines de la Cour des Comptes
La Cour des comptes a été créée par une loi du 16 septembre 1807. Napoléon Ier voulait, en l’instituant, poursuivre l’assainissement financier du pays.
S’inspirant des chambres des comptes de l’Ancien Régime (qui ont laissé filer les déficits abyssaux de la monarchie) supprimées (à raison) par la Révolution après parfois cinq cents ans d’existence, l’Empereur fonda une juridiction unique pour l’ensemble du territoire.
La Cour a reçu deux missions : juger les comptes des comptables publics, ceux de l’État comme ceux des collectivités territoriales (sauf les petites) et contrôler la gestion des ministres et des autres ordonnateurs, avec le devoir de dénoncer les abus et malversations qu’elle relevait lors de ses contrôles, mais à l’Empereur seulement. D’emblée, la Cour remplit ainsi une fonction juridictionnelle (elle rend des arrêts) et une fonction qui n’a pas ce caractère (elle adresse des observations).
À partir de la Restauration, le cadre budgétaire et comptable du secteur public s’améliore grandement, avec la définition de règles qui accompagnent la naissance du parlementarisme et se révèleront d’une grande solidité. Dès 1822, la Cour assure une forme de certification des comptes de l’État à l’intention tant du gouvernement que du législateur.
La monarchie de Juillet décide la diffusion en 1832 aux parlementaires du rapport annuel de la Cour, marquant ainsi la naissance du rapport public. Cette décision contribue aussi à densifier le rôle d’interpellation du Parlement.
Le champ de compétence de la Cour des comptes, longtemps inchangé, est étendu en 1939 aux associations subventionnées, en 1950 à la Sécurité sociale, en 1976 aux entreprises publiques et en 1991 aux organismes faisant appel à la générosité publique. (1)
Une organisation pour assurer au mieux ses différentes fonctions
Quant à sa composition, la Cour est formée de magistrats inamovibles assistés d’un petit nombre de fonctionnaires, nombre qui ne cessera de croître. Le recrutement des magistrats en début de carrière se fait depuis 1856 par le concours de l’auditorat auquel a succédé l’École nationale d’administration à partir de sa création en 1945.
Aux autres grades – conseillers référendaires, conseillers maîtres – un recrutement extérieur coexiste depuis l’origine avec le recrutement dans le grade inférieur. Dotée d’un Parquet placé sous l’autorité d’un Procureur général, la Cour des comptes est organisée en chambres (trois à l’origine, sept aujourd’hui) et a à sa tête un Premier président.
Les lois de décentralisation de 1982 apportent un changement important en retirant à la Cour le contrôle des collectivités territoriales pour le confier à des chambres régionales et territoriales des comptes spécialement créées, la Cour demeurant juge d’appel.
L’ensemble constitué par la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière (créée en 1948) est régi depuis 1994 par le Code des juridictions financières (2).
Avec la loi organique sur les lois de finances (LOLF) de 2001 puis la loi organique sur les lois de financement de la Sécurité sociale (LOLFSS) de 2005, la Cour se voit chargée d’une tâche complètement renouvelée par rapport à ce qui avait été conçu en 1822 : la certification annuelle des comptes de l’Etat ainsi que de ceux de la Sécurité sociale. Le corollaire de cette nouvelle mission est que la Cour prend son autonomie financière et cesse d’être gérée par le ministère des Finances comme elle l’avait toujours été.
Quant à son rôle la Cour des comptes remplit aujourd’hui quatre missions complémentaires, le jugement des comptes des comptables publics et le contrôle de la gestion. A ces deux tâches historiques s’ajoutent deux tâches plus récentes : la participation à l’évaluation des politiques publiques et la certification des comptes. La Constitution de 1958 modifiée en 2008 s’en fait le reflet. (3)
Phillipe Séguin : Un exemple d’une juste utilisation de la Cour des comptes
Nous avons déjà dit que l’on était en droit d’attendre mieux de l’action de la Cour.
Nous en référerons à celui qui fut certainement son plus grand président : Philippe Séguin. Lorsqu’il est nommé en 2004, il va « révolutionner » l’institution. Car l’ancien maire d’Épinal était ainsi fait. Il transformait les institutions dont il assumait la gestion (mairie d’Epinal, Assemblée Nationale). Que n’aurait-il pas apporté à Matignon (en 1995) et encore plus à l’Élysée…? Lors de sa nomination à la tête de la Cour par Nicolas Sarkozy, il va prononcer un discours qui fera date et qui en appellera d’autres toujours plus pertinents voire impertinents et iconoclastes. (4)
Dès sa prise de fonction, en 2004, Monsieur Séguin s’est efforcé de mettre à profit sa stature et son influence politique pour redonner de l’indépendance, du lustre et de la visibilité à une institution qui n’en avait plus guère. Soulignons que, comme on pouvait s’y attendre, c’est le gouvernement qui a eu le plus à pâtir des travaux de la Cour sous la férule de son ombrageux président.
Après avoir affermi l’indépendance de l’institution qu’il présidait – en obtenant notamment qu’il soit mis fin, en 2006, au rattachement de son budget et de sa gestion au ministère des finances – Philippe Séguin a entraîné la Cour des comptes dans l’élaboration et la publication de nombreux rapports. Bien sûr ce fut une façon de répondre à la mission d’information des citoyens dévolue à la Cour par la Constitution. Mais aussi, et peut-être même surtout, d’épingler la gestion des finances publiques lorsque nécessaire.
Et pourtant c’est à cette époque que la France connaît, sous l’égide de Jacques Chirac, et de Dominique de Villepin à Matignon, les derniers budgets globalement équilibrés.
Pourtant il s’avère que c’est à partir de cette période que les recommandations de la Cour vont être de plus en plus critiques mais ne seront malheureusement pas toujours suivies d’effets. L’ampleur des déficits publics en général, et de la Sécurité sociale en particulier, a été à plusieurs reprises la cible des magistrats de la Rue Cambon.
Phillipe Séguin, indépendant de nature et de culture (gaulliste quoi !) ne s’est jamais gêné dans ses discours de présentation des rapports publics. Ainsi en juin 2008, la Cour des comptes avait-elle coup sur coup adressé de sévères reproches au gouvernement sur sa capacité à réduire les déficits publics, puis refusé de certifier les recettes de la Sécurité sociale en s’interrogeant ni plus ni moins sur la « sincérité » des comptes qui lui étaient présentés. (5)
C’était une première ! Signée Séguin ! Même à l’Elysée on goûta peu cette liberté de ton. Mais le président de la Cour n’en eut cure. Sa ligne de conduite fut dévouée à une seule cause l’intérêt de la République et l’immense majorité de ses discours en atteste. (6)
Il continua aussi de publier des rapports thématiques qui ont également fait grand bruit.
En juillet 2009, quelques lignes du premier rapport de la Cour sur l’exécution du budget de la présidence de la République, en 2008, avaient mis le feu aux poudres : y étaient dénoncés les « errements » du budget de l’Elysée consacré aux sondages. Trois mois plus tard, le coût du sommet de l’Union pour la Méditerranée eut un fort retentissement. L’entourage proche de Monsieur Séguin n’hésitant pas à qualifier ce projet, intéressant sur le principe, de chimère. Le dernier rapport publié sous la présidence de Philippe Séguin le fut le 16 décembre 2009. Ce ne fut pas le moindre. Consacré au non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, il jugeait que cette politique impulsée par Nicolas Sarkozy était « dictée par des considérations budgétaires de court terme« , et résultait d’une « démarche purement quantitative« .
L’ancien héraut anti-Maastricht ne fut jamais avare de remarques qui dépassaient parfois le cadre du rapport lui-même ! On dit que Nicolas Sarkozy regretta à certaines occasions cette nomination…!
Mais, magistrat inamovible chargé d’adresser aux ministres et aux présidents des organismes contrôlés les observations de la juridiction, le premier président de la Cour des comptes incarne en principe son indépendance. La mission convenait en tous points au tempérament affirmé de Philippe Séguin. Il n’est pas certain que ses successeurs soient à la hauteur. En tout état de cause le Tunisien de naissance leur laisse, à son décès en 2010, une Cour des comptes en pleine mutation. Les rapports publiés vont aussi servir de plus en plus à « éclairer » le législateur. Le fait pour Séguin d’avoir présidé de main de maître l’Assemblée Nationale (1993-1997) ne va pas y être étranger.
Un lent enlisement des comptes publics
Mais ce qui ne change pas, c’est la situation financière de la France. Pis que ça, elle s’aggrave.
Sous Nicolas Sarkozy, la dette passe à 1 833,8 milliards d’euros, soit à 90,2 % du PIB. Certes il a dû « éponger » la crise des subprimes. Sous François Hollande, à 2 258,7 milliards d’euros, soit 98,4 % du PIB. La Cour a souligné à chaque reprise ces errements de gestion ainsi que l’absence de moyens efficaces pour y faire face. Mais quid en termes de résultats ? Quant à Emmanuel Macron, rien n’a vraiment été fait pour contenir les déficits devenus abyssaux. Certes les crises ont pesé : la pandémie de Covid-19 a entraîné un « quoi qu’il en coûte » chiffré à plusieurs dizaines de milliards, avec chômage partiel, fonds de solidarité et prêts garantis par l’État. Tout cela, comme l’a souligné souvent la Cour, sans véritablement provisionner (à l’instar de nos principaux voisins européens).
À la fin du premier trimestre 2025, la dette de la France représente 3 345,4 milliards d’euros, soit 113,9 % du PIB (record).
Et l’on sait qu’en à peine plus de deux ans (2021-2023) la politique décidée par Emmanuel Macron, et exécutée par Elisabeth Borne, Gabriel Attal et Bruno le Maire, a aggravé de près de 1000 milliards le déficit. La Cour, présidée par Pierre Moscovici depuis 2020, l’a souligné dans d’autres rapports.
Ainsi en juillet 2024 il a estimé que « notre situation ne cesse de se dégrader ». Comme à l’accoutumée il a préconisé la réduction « significative » de la dépense publique dans le prochain budget. Il constate avec gravité, « La situation des finances publiques ne cesse de se dégrader depuis la crise du Covid-19 (…). En 2023 et 2024, il ne s’est rien passé : il n’y a pas eu de crise pandémique, économique, sociale ou financière. Pourtant, ce sont deux très mauvaises années en matière de finances publiques« .
Et de s’interroger : « Le remboursement de cette dette pourrait devenir le premier poste budgétaire de la nation, ce qui ne s’est jamais produit auparavant ». « Comment un pays comme le nôtre peut-il financer les grands défis de demain — la transition écologique, la défense, l’innovation, la recherche — en étant aussi endetté ?« . Le premier président de la Cour des comptes préconise, pour réduire la dette, de « maîtriser la dépense publique » et appelle à « un effort » dans les futurs budgets. (7)
Mais concrètement qu’en est-il advenu ? On voit les difficultés budgétaires qui ont coûté la vie à deux (et bientôt trois) gouvernements en un peu plus d’un an…
De façon plus prudente, Didier Migaud qui présida l’institution (2010-2020) et dans un contexte moins tendu il est vrai, ne dit guère autre chose. Quant à la certification des comptes de l’État, il apparaît clairement que la qualité de ceux-ci ne progresse plus depuis 3 ans. Il faudrait une volonté politique forte pour relancer le processus et améliorer encore la présentation des comptes et leur transparence. (8)
Le Parlement doit aussi mieux jouer son rôle ici. Mais lorsque l’on voit le niveau de certains députés, on a de quoi être inquiet…
Les capacités de la Cour des comptes en question
Donc les rapports négatifs de la Cour s’enchaînent depuis des décennies. Le problème c’est que la Cour détient essentiellement un pouvoir d’alerte, d’avertissement. En aucun cas de sanction véritable. L’article L111-1 du code des juridictions financières dispose, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2023, que la Cour des comptes juge les gestionnaires publics en premier ressort et non plus les comptes des comptables publics. Notamment sur la responsabilité des gestionnaires publics :
– La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics est abrogée et conséquemment la notion de débet disparaît. Jusqu’en 2022, la Cour des comptes analysait les comptes et les pièces justificatives présentées et examinait l’équilibre des comptes. Si les comptes étaient réguliers, la Cour prononçait un arrêt de décharge à l’égard du comptable public. Elle le mettait en débet si des recettes avaient été perdues ou si des dépenses avaient été irrégulièrement effectuées ;
– La responsabilité financière des gestionnaires publics est engagée en cas d’infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État, des collectivités, établissements et organismes soumis au contrôle des juridictions financières, constitutives d’une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif. (9)
Alors oui comme il est indiqué sur son site, la Cour des comptes a pour mission principale de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens. Vu le contexte actuel de déficit gravissime, ce n’est plus suffisant. Il faudrait faire évoluer cette mission vers la possibilité de mettre en cause celles et ceux qui, notamment au gouvernement, mettent à mal ces deniers publics. Le dérapage budgétaire enclenché dès 2020 est un exemple patent.
Pourquoi ne pas envisager une saisine de la Cour de Justice de la République voire du Parquet National Financier par la Cour en cas de doute sérieux ?
Ainsi rappelons que le jeudi 10 octobre, le Journal télévisé de France 2 s’est longuement intéressé à l’état des finances publiques. Contacté par les équipes de France Télévisions, Bruno Le Maire (au cœur du réacteur budgétaire pendant les 7 ans qu’il a passés à Bercy) n’a pas souhaité réagir. Cependant, l’ancien ministre de l’Économie leur a pourtant envoyé un message très énigmatique et lourd de sous-entendus : « La vérité apparaîtra plus tard ».
Parti prodiguer de lucratifs cours d’économie en Suisse, et alors qu’il revient en France de plus en plus régulièrement, se décidera-t-il enfin à évoquer le sujet des finances politiques dans un avenir plus ou moins proche ? Seul l’avenir nous le dira…
Même la commission d’enquête parlementaire n’a pas réussi à élucider le « mensonge ».
Il serait opportun de donner de réels pouvoirs à la Cour en de pareils cas.
Rappelons tout de même que l’art. 15 de la Déclaration de 1789 précise :
La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
Raphaël Piastra

- Cour des comptes https://www.ccomptes.fr.
- Legifrance, Code des juridictions financières : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte.
- Constitution française, article 47-2 : « La Cour des comptes assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques » ; « elle assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du gouvernement ». Par ailleurs, « par ses rapports publics, elle contribue à l’information des citoyens ».
- Philippe Séguin, « Un Premier président dans la République : discours 2004-2009 », disponible sur https://documentation.insp.gouv.fr.
- Le Monde : https://www.lemonde.fr, 2010.
- Philippe Séguin, « Discours encore et toujours républicains : de l’exception française », Denoël, 1994.
- France Info : https://www.franceinfo.fr.
- Fondation iFRAP, think tank sur les politiques publiques : https://www.ifrap.org.
- Vie publique, portail d’information citoyenne : https://www.vie-publique.fr.
2 réponses
Responsables mais pas coupables comme disait G. Dufoix.
Ah, nos institutions sont bien construites, oui. On les vante. On est les meilleurs comme avec la sécurité sociale, c’est sûr. Mais c’est la faute est à personne au final quand il faut rendre des comptes.
P. Moscovici par exemple, ministre à Bercy qui comme les autres a fait gonfler nos dettes, et qui fait maintenant, en tant que premier président de la C.C., de la morale budgétaire, c’est difficile à avaler.
On dénonce, on dénonce, ça fait bien (gentiment, sans faire trop de vagues quand même, sinon on saute)…et les dérives perdurent.
Je doute que de nouveaux pouvoirs attribués à la C.C. changent grand chose. En matière budgétaire comme ailleurs, c’est la volonté des hommes qui change les choses. Pour exemple Ch. de Gaulle, qui a pris une situation financière des comptes publics très mauvaise en 1958, et qui l’a rendue assainie et équilibrée globalement en 1969…avec la cour des Comptes de l’époque !
L’Usager est le dindon que l’ont plume pour atténuer le fond sonore en collant ses plumes sur le bord de fuite des pales d’éolienne. Ce qui n’empêche pas aux pales de hacher menu, menu les oiseaux qui viennent à la rencontre des bords d’attaque. En cage les oiseaux !